L'effet papillon d'encre et de sang

Je vous écris d'Inde. Ce que vous n'êtes pas sans savoir. Je vous écris donc d'un autre continent, lointain, magique et troublant. Je vous écris de ma bulle, faite de couleurs odeurs et pigments. 

Oui, mais voilà, hier matin, avant même qu'il ne soit dans les kiosques, Charlie Hebdo a fait trembler mon sous-continent de rêve, exploser ma bulle, troublé ma sérénité. Des mails d'amis indiens, du consulat de Bangalore nous sont parvenus nous mettant en garde, nous priant de "take care", de ne pas fréquenter les marchés, les lieux d'attroupement, d'éviter tout déplacement qui ne soit indispensable.

Alors je fais quoi, moi, je fais comment ? Je m'enferme dans ma chambre ? Je me fais passer pour Italienne ? Je demande un rapatriement ? Je cède à la paranoïa ? Ou je continue ma vie, mes visites, en me souvenant que vivre est un risque à prendre ? 

Hier soir l'Inde fêtait Ganesh, à grands coups de pétards de tambours de percussions. L'Inde était en liesse, et moi j'ai passé outre les interdits, fais fi des précautions, j'ai décidé d'être avec elle.

Et puis je m'interroge, moi qui prône la liberté d'expression, qui crois que l'on se doit de défendre ses valeurs.

Quelle noblesse peut-on voir dans des dessins auxquels je dénie le titre de caricature, dans lesquels je ne vois qu'une blague de potaches, une inutile et médiocre. 

Nous sommes loin du temps où l'on crachait sur le bourgeois, pour faire frémir et avancer la société. On peut et je le regrette, mais c'est ainsi. Aujourd'hui, le foulard n'est pas qu'un jeu et peut s'avérer mortel, des mots peuvent blesser, des dessins peuvent tuer. 

Lorsque Charb, sourire narquois aux lèvres, lève le poing par bravade, je ne vois aucune bravoure. Le courage est du côté de ceux qui se doivent de continuer à vivre, travailler, collaborer dans des pays dits sensibles. 

Si, un jour ce poing se trouvait entaché de sang d'innocents, saurez vous, monsieur le directeur de Charlie Hebdo, en assumer votre part de responsabilité ?

Je vous quitte, pour mes rues indiennes, arborant un sourire comme unique protection.