Balade pour un apéro

Ce soir, 

sortie du bureau plus tôt

visites d'expo

à travers mon quartier 

à travers les ruelles

 jonchées aux poubelles éventrées

renversées

ignorées

vomissant les déchets en putréfaction des pauvres

Ici, moins de carton

plus de fer

plus de végétal

plus de moisissure

L'odeur âcre

attire les chiens 

qui dans quelques heures

devront fuir

et laisser leur place aux rats

J'entame l'ascension vers le cours Julien

en bonne compagnie

celle d'une douce bavarde

Nos conversations deviennent confidences

ralentissent nos pas zigzagants

Le groupe nous a semées

Peu importe

C'est mieux ainsi

Des coups de téléphone 

les enfants

le travail

nos autres vies

rien qui puisse nous gâcher la fête

d'être femmes libres

pour quelques heures

seulement peut-être

Et puis je m'arrête

lève la tête

m'empare mon appareil photo

je veux témoigner

me souvenir

que de la crasse peut naître la beauté

pour qui sait lever le nez

Et de me souvenir de ma mère

qui d'une voix sèche

m'intimait l'ordre

"tiens-toi droite

et regardes où tu mets les pieds"

à moi

toujours perdue dans mes rêves

perchée

et trébuchante

moi qu'elle voulait mettre au pas

moi qui opposait une silencieuse résistance 

moi qui déjà savais

que pour voir

il suffit de savoir regarder

que pour être heureuse

il me faudrait me battre